Affûtage d’un passe-partout

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Un passe-partout à gauche, une scie à cadre à droite !

Ah, cette bonne vieille scie ! Accessoire indispensable du bûcheron viril s’en allant vaillamment dans la forêt, ou du personnage de cartoons désireux de piéger son ennemi juré (principalement Coyote et Grosminet, de mémoire). Outil millénaire, elle apparaît déjà dans les mythologies grecques (Talos, le neveu de Dédale l’aurait inventée) et sur des représentations d’Égypte ancienne. Il faudra néanmoins attendre le 16ème siècle pour que les méthodes de fabrications évoluent et permettent la démocratisation de la scie. Avant cette époque, elle était rare et réservée à des travaux bien spécifiques, tant sa fabrication était ardue.

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60 ans et (presque) toutes ses dents !

Bien sûr, le terme « scie » ne désigne pas uniquement des outils servant à la découpe du bois mais également du métal, de la pierre… On s’occupe ici d’une scie à bois, et plus précisément d’un passe-partout (qui, contrairement à ce que laisse imaginer son nom, ne passe pas inaperçu) : une scie très volumineuse, ici supérieure à 110 centimètres, servant à tronçonner ou abattre des arbres. Ce type de scie permet des coupes grossières et rapides. Il existe des modèles pouvant être maniés à une ou deux personnes, voire… les deux (mais on garde cette surprise pour la fin) !

Dans le monde des scies à bois, il existe deux types de lames : on utilisera une scie à refendre (aussi appelée scie à déligner) pour couper dans le sens du fil (pour celles et ceux qui auraient raté l’article précédent, cela revient à couper dans le même sens que les fibres du bois). A l’inverse, une scie à tronçonner sera, comme son nom équivoque l’indique, conçue pour scier à travers les fibres du bois.

Cette différence fondamentale se lira au niveau des dents : les dents « plates » à leurs extrémités, qui ont été aiguisées perpendiculairement à la lame excellent à couper dans le sens du bois. Au contraire, les dents « pointues », qui ont été aiguisées avec un angle vont venir trancher les fibres du bois plus facilement.

Vient s’ajouter à cela le motif des dents : sur notre passe-partout, elles sont groupées trois par trois, avec un creux entre chaque groupement. Ce creux s’appelle une gorge de dégagement, et elle a deux fonctions : elle empêche la sciure amassée dans la voie (le sillon formé par la découpe) de coincer la lame en l’évacuant à chaque va-et-vient, et permet à l’air d’entrer dans la fente de sciage. Ce motif s’appelle une denture à l’américaine (« Great American Pattern » pour les puristes).

Achetée 15 euros à un particulier désireux de s’en débarrasser, on prend à peine le temps de la dérouiller et de huiler le manche avant d’aller l’essayer sur ce robinier qui nous avait déjà fourni le manche de notre hache. La précipitation et l’inexpérience ont eu raison de nous : aussi aiguisée qu’un couteau à beurre, la scie, au lieu de dévorer le tronc, consuma notre énergie ! Une belle leçon d’humilité : on peut avoir le meilleur outil au monde, si on ne sait pas l’entretenir, il ne sert à rien. L’occasion rêvée pour nous d’apprendre à affûter une scie et de partager ces quelques connaissances avec vous.

L’affûtage

La première étape de l’affûtage est de passer une lime plate sur les pointes des dents pour égaliser la scie : en effet, si certaines dent sont plus courtes que d’autres, elles ne couperont pas, réduisant grandement l’efficacité de l’outil. Cette étape est essentielle pour un premier affûtage d’une vieille scie de grange, mais restera épisodique lors des affûtages suivants.

La seconde étape nécessite l’utilisation d’un tiers-point, une lime triangulaire spécialement conçue pour l’aiguisage des scies. A l’instar des limes plates, il en existe de toutes tailles, selon la scie à affûter.

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Une scie présente généralement un écartement alterné des dents vers l’extérieur de la lame, écartement qui sera décrit plus bas. Repérer cet écartement est nécessaire pour affûter convenablement les dents : on vient passer le tiers-point sur la face avant des dents inclinées du côté opposé à soi. Une dent sur deux sur toute la longueur donc, avant de retourner la scie pour aiguiser les dents restantes.

Pour aider à la compréhension, il faut se visualiser le sens de coupe d’une scie occidentale : on enlève de la matière lorsque l’on pousse sur la scie (contrairement aux scies japonaises), les tranchants doivent donc être aux extérieurs de la lame et dans le sens de la coupe !

On applique la même pression et le même nombre de coups sur chaque dent. On peut s’aider d’un marqueur pour ne pas perdre le compte ! Pour une scie qui n’a pas servi depuis longtemps, le métal noirci est également un bon indicateur, comme le suggère les photos ci-dessous !

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Enfin, selon si votre scie sert à refendre ou à tronçonner, l’affûtage ne sera pas le même. Pour une scie à tronçonner, comme la nôtre ici, il est nécessaire d’appliquer un angle d’attaque à l’affûtage, pouvant varier selon l’agressivité de la coupe, le type de bois à couper, la polyvalence de la scie… Un angle de 20° est considéré comme un angle moyen, qui convient à la plupart des situations. Tracer des lignes avec l’angle voulu sur les planches fixant la lame (comme sur les photos ci-dessus) est un moyen rapide et efficace d’obtenir un affûtage à un angle relativement constant.

L’avoyage

L’avoiquoi ? L’avoyage ? Eh oui, bien que ce mot ait été souligné en rouge lorsqu’il a été tapé au clavier, il existe bel et bien ! C’est le processus qui permet de redonner de « la voie » à une scie. Pour faire simple, en écartant alternativement d’un côté ou de l’autre l’extrémité des dents, le trait de scie sera plus large que l’épaisseur de cette dernière. Ainsi, cette dernière pourra glisser librement dans le bois, réduisant l’effort et les risques de blocages, tout en permettant une coupe droite et une évacuation des copeaux plus aisée.

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Utilisation de la pince à avoyer

Un avoyage peut s’effectuer avec un gros tournevis plat en faisant levier entre deux dents, mais l’outil spécialement conçu pour l’avoyage, appelé une pince à avoyer, est bien plus efficace et permet une régularité parfaite de l’inclinaison des dents. Nous avons récupéré la nôtre par hasard, en achetant un lot de vieux outils sur Le Bon Coin… Il nous a fallu des semaines pour comprendre à quoi ça servait ! Notre modèle présente deux molettes, une pour régler l’angle de torsion de la dent, l’autre pour régler la longueur de dent que l’on souhaite plier.

Attention : si l’avoyage est réalisé après l’affûtage, il est impératif de ne pas glisser la pince le long de la lame, sous peine de ruiner l’aiguisage des dents !

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Écartement alterné des dents après avoyage

Les accessoires

Les outils d’antan étaient, en plus d’être bien conçus, adaptables à de nombreuses situations. Cette scie en est l’exemple type : elle possède deux trous discrets dans la lame, un à chaque extrémité. Ces trous servent à accueillir une poignée, afin de permettre soit de scier à deux mains, soit de transformer la scie en passe-partout manipulable à deux !

Nous avons fabriqué une poignée rudimentaire en sculptant une chute de robinier sciée en son centre, percée à la chignole et fixée par un boulon et un écrou. Sur les photos ci-dessus, vous pouvez observer la poignée aux deux emplacements différents.

Une fois affûtée et avoyée, on s’est vite rendus compte qu’elle était devenue intransportable en l’état tant les dents étaient pointues. En s’inspirant des gardes-lames de scies anciennes, nous avons taillé le long d’une belle branche de robinier une fente pouvant accueillir notre passe-partout. Quelques trous, de la cordelette, et le tour est joué !

Notre passe-partout rénové, nous avons de grands projets pour lui : nous aimerions  l’utiliser pour débiter des arbres déjà à terre et encore verts, afin de s’essayer aux techniques ancestrales du bois fendu… mais ce sera pour un prochain article !

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Prenez soin de vous !

 

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