Fabrication d’un châssis pour toile

Sur le chemin du retour de notre mission en Antarctique, nous avons fait une escale d’un mois au Népal, envieux après cet isolement de plus d’un an de parcourir de grands espaces, redoutant également de replonger dans le tumulte de notre civilisation. Après un trek fabuleux dans la vallée de Langtang, nous découvrîmes à Katmandou une galerie d’art où exposait et travaillait Pravin, un artiste peintre spécialiste du couteau à palette. Cet homme incarnait dans ses œuvres toute la profondeur et le contraste des paysages népalais, à tel point que nous lui achetâmes une dizaine de peintures, pour des amis, de la famille, et pour nous. La plus grande, de deux mètres par un, resta précieusement roulée et stockée durant une année entière dans une armoire, le Canada nous ayant emportés vers d’autres aventures.

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Le Bouddha veillant sur le col de Laurebina, une khata blanche autour du cou

Mais confinement oblige, les projets restés en suspens remontent à la surface ! L’encadrement de la toile par un professionnel étant absolument hors de nos moyens (600 euros au bas mot), et disposant désormais des outils et des connaissances nécessaires à la fabrication d’un châssis en bois, il était temps pour nous d’offrir à cette peinture une autre place qu’au fond d’un placard !

Préparation du bois

De vieilles lames de parquet massif entreposées dans la remise depuis bien trop longtemps vont enfin servir à quelque chose ! Le bois est légèrement vermoulu par endroits, mais toujours robuste. Faites toujours extrêmement attention au bois que vous ramenez à l’intérieur de votre maison : si celui-ci n’est pas sain, il faut être absolument certain qu’aucun xylophage (organisme vivant – souvent des insectes – se nourrissant principalement de la cellulose ou de la lignine du bois) n’habite ce dernier ! Pour se faire, il existe différentes méthodes de traitement, par le froid, le chaud, voire chimique. Nous ne nous risquerons pas à donner des conseils ici, nous sommes loin d’être experts sur le sujet.

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Lame de parquet après une hibernation profonde

Réutiliser du parquet massif pour d’autres constructions présente des avantages : s’il a été bien entreposé, la planche sera déjà droite, le bois généralement de bonne qualité et les longueurs très satisfaisantes.

La première étape va être de supprimer la rainure et la languette de chaque planche. L’assemblage à rainure et languette permet de joindre habituellement deux lames de parquet ensemble, nous n’en avons pas besoin ici. On utilisera une plane pour dégrossir, puis éventuellement un rabot pour obtenir une finition supérieure. Photos ci-dessous de la languette avant, et de la surface après aplannisage.

Dépendamment de la largeur des planches de parquet, vous aurez peut être besoin, comme nous, de les recouper dans le sens de la longueur. Une scie à déligner – pour couper dans le sens du fil du bois – fera un très bon travail pour peu qu’elle soit bien aiguisée !

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Rabotage des planches avec un rabot à main Darex 404

Une fois les planches à la bonne largeur, on peut raboter chaque surface afin d’avoir un rendu propre.

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Le contraste après un rabotage grossier est flagrant !

Les contreventements

Notre peinture étant très grande, nous avons besoin de renforcer le châssis. On commence par concevoir les contreventements qui vont venir consolider les angles. Chaque contreventement va présenter un tenon à chaque extrémité, qui viendra rencontrer les mortaises des planches.

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Les contreventements, après marquage des tenons

Afin de tracer avec précision les tenons à découper, nous utilisons un trusquin : cet outil de traçage permet de translater sur la surface du bois une distance fixée au préalable. Il permet donc de marquer le bois en gardant la même mesure, ce qui assure une bonne régularité lorsqu’on veut travailler plusieurs pièces identiques.

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Marquage du tenon avec le trusquin

Pour ce type de coupe relativement fine, une scie à tenons est – comme son nom l’indique – parfaitement adaptée. On pourra également utiliser une scie à queue d’arondes, encore plus fine. C’est ce que nous avons utilisé ici avec notre scie japonaise « Tatebiki » qui, à l’instar des autres scies japonaises, coupe en tirant et non en poussant !

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Scie japonaise à queues d’arondes Tatebiki

Patience et précision sont les maîtres mots pour réaliser des assemblage en tenons et mortaises !

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Les contreventements finis

Les mortaises

Le trusquin toujours réglé d’après le marquage des tenons, il suffit juste de reporter la mesure sur les planches du cadre ! Un ciseau à bois de 6 millimètres aurait été parfait pour l’occasion, mais il échappe pour l’instant à notre collection, on a donc dû utiliser un ciseau à bois de 4 millimètres avant d’élargir la mortaise.

Vous pouvez placer un morceau de scotch sur votre ciseau à bois pour délimiter la longueur de votre tenon : il sera ainsi plus facile de creuser votre mortaise à la bonne profondeur !

Le renfort central

Le cadre devant être deux fois plus long que large, un renfort central est conseillé pour bien solidifier la structure et éviter aux planches en longueur de se courber. Nous avons conçu ce renfort avec des assemblages en queue d’aronde aux extrémités.

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Marquer son bois : un réflexe à adopter pour éviter de couper le mauvais côté !

Cet assemblage va contraindre le cadre à rester dans sa position rectangulaire.

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Perçage de l’assemblage en vue d’y insérer une cheville

L’assemblage

Nous commençons par fixer le renfort central, en appliquant de la colle à bois puis en y insérant une cheville.

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Une fois l’assemblage en queue d’aronde fixé, la cheville est coupée à ras le bois

Vient ensuite les contreventements : on vient enduire les tenons et les mortaises de colle à bois avant d’emboîter le tout. On place évidemment des serres-joints le temps que la colle sèche.

Dernière étape, des renforts par clés, de petits morceaux de bois – les clés – que l’on vient insérer dans une rainure reliant deux morceaux de bois différents.

On fait ici les entailles avec une scie épaisse, puis on vient coller les clés dans les angles, avant de raboter le surplus une fois la colle sèche.

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Le châssis terminé

Fixation de la toile

Il s’agit maintenant de tendre la toile sur le châssis. Pour cela, nous avons utilisé des semences de tapisserie en cuivre dites « parisiennes » – des clous à tête plate et à tige carrée, aux côtés légèrement évidés – qui permettent de plaquer fermement le tissu au support. Pour une toile de cette ampleur, il est conseillé d’être deux, ou d’avoir avec vous une pince à tendre !

La démarche à suivre est la suivante :

  • Placer la toile face contre une surface propre (table, sol) et non adhérente. Une surface permettant d’absorber les chocs est conseillée, vu que les semences vont être enfoncées au marteau !
  • Aligner les coins du châssis avec ceux de la toile
  • Rabattez la toile et plantez le premier clou au milieu d’un grand côté (numérotons le #1)
  • Faites la même chose au côté opposé (#2) en prenant bien soin de tendre la toile au préalable
  • Répétez l’opération précédente sur les deux petits côtés restants (#3 puis #4)
  • Revenez au côté #1 et plantez un clou de chaque côté du clou central, espacé de la largeur de votre pince à tendre si vous en utilisez une, de l’ordre de 5 à 6 centimètres autrement. Prenez bien soin de tendre la toile avant chaque clou !
  • Effectuez la même opération sur les côtés #2, #3 puis #4.
  • Revenez au côté #1 et plantez tous les clous en partant toujours du milieu vers les côtés, de manière alternée. Laissez les coins libres sur une dizaine de centimètres de chaque côté.
  • Effectuez la même opération sur les côtés #2, #3 puis #4.
  • Revenez à un des coins du côté #1, tendez la toile et placez un clou de chaque côté de l’angle, pour ne laisser que quelques centimètres de libre.
  • Lissez ensuite la toile libre le long d’un côté, puis rabattez-la comme pour un papier cadeau. Prenez le temps de tester différentes pliures et d’obtenir un bon compromis entre tension de la toile et proéminence du pli avant de le clouer !
  • Effectuez l’opération précédente sur l’angle opposé d’abord, puis sur les angles restants.

C’est une opération délicate qui demande de la patience, prenez votre temps et du recul sur ce que vous êtes en train de faire et le rendu sera au rendez-vous ! Ci-dessous quelques photos pour vous aider à visualiser le montage.

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Premier clou planté !

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Nous avons opté pour un espacement de 6 centimètres pour le milieu, puis de 10 centimètres ensuite, notre réserve de clous étant limitée.

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Ici une double pliure au niveau de l’angle, soit cinq épaisseurs de toile solidement plaquées par le clou. Vous pouvez en mettre plusieurs ci-besoin

Plusieurs méthodes s’offrent à vous pour fixer une toile ou un cadre au mur. Nous avons vissé deux crochets en métal aux extrémités supérieures du cadre. Ils ont été au préalable tordus à l’aide d’un pince afin de fermer leur boucle.

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On peut ensuite venir visser dans le mur des gonds en métal – des angles droits – où vont venir s’emboîter les crochets de fixation.

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Et voilà ! Actuellement exposé dans notre petite chambre de confinés, il est probablement aussi impatient que nous d’habiller un mur de notre future ferme, mais pour cela il faudra attendre quelque temps…

Ce tableau est une véritable fenêtre ouverte sur le Népal. Il nous transporte parfois là bas, dans la chaîne de l’Himalaya, sur les sentiers de la vallée de Langtang ou du col de Laurebina, et nous plonge dans une contemplation silencieuse des plus apaisantes. Le pic dominant sur cette peinture, celui de droite, se nomme Machapuchare, littéralement queue de poisson en népalais, de par sa forme caractéristique. D’après la mythologie Hindoue, ce sommet sacré serait même la demeure de Shiva…

Namasté !

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